Kim Eun Woo | i'm upset that from now on I can't believe you

Avançant lentement, les feuilles et les branches délaissées craquaient bruyamment sous ses pieds tandis que son regard ne cessait de s'accrocher aux sommets de ses arbres. Il faisait froid, ici. Le silence s'imposait, régnant d'un souffle discret sur l'ensemble de la place. Le calme s'avançant, timidement, berçant la place dans une aura tranquille. Les quelques rayons de soleil qui passaient à travers les feuilles réchauffaient l'endroit. Le vent laissait entrevoir, par intervalles irréguliers, un ciel bleu parsemé de nuages.
Il connaissait ce décor. Il connaissait cette ambiance. Un frisson remonta le long de son dos, son corps tremblant brièvement aux images qui se succédaient dans son esprit. Ses lèvres tremblaient dans des sons muets. Ses yeux se perdaient, détaillant des images qui n'existaient que dans sa mémoire. Ses pensées traçaient le tour de ces cauchemars et contournaient inlassablement les croquis de ceux qui l'avaient laissé là, il y a quelques années.

Le bruit s'imposait dans le bus, chaque élève discutant joyeusement. Des rires, des moqueries discrètes, des plaisanteries, des paroles sérieuses et posées... tout se mélangeait créant un chaos ordonné sous l’œil avisé du professeur de son accompagnant. Le chauffeur de bus, lui, s'aventurait dans un récit animé sur ses trajets les plus compliqués, sans se douter que celui-ci serait le dernier. Car il ne fallut qu'une seconde, qu'une image, qu'un souffle, pour qu'il perde le contrôle du véhicule, le laissant foncer droit vers ce long fossé.
Un accident de bus. Voilà ce que la classe venait de subir. Un accident sur une route dangereuse. Certains s'étaient levés, d'autres restaient allongés, immobiles. Certains pleuraient, certains tentaient de comprendre, d'aider, de parler. Et les derniers ne pouvaient même plus respirer. Eun Woo, lui, était coincé. Sa jambe était calée contre la carrosserie, des débris lourds plaqués dessus. Son bras se tenait étrangement, et sa vision était floue. Son souffle était saccadé, court, démolis. La première chose qu'il sentit à son réveil fut la douleur. La seconde fut la peur. Et la dernière fut l'incompréhension.
Les survivants sortaient un à un, se posant dans ce froid glacial qui régnait dans cette forêt. Ils parlaient, tentaient de se rassurer, de se réchauffer, d'analyser la situation. La moitié paniquait, cela dit, et Eun Woo en faisait parti. Il n'arrivait pas à bouger. Il n'arrivait pas à parler. Mais Seung Kwan était là, penché vers lui. Seung Kwan, son meilleur ami. Il était là, rassurant mais pas très rassuré lui-même. Le temps était passé depuis la chute du véhicule, apparemment. Eun Woo s'était endormi, apparemment. Il avait voyagé entre deux états, l'éveil paniqué et le sommeil perturbé. Et Seung Kwan était resté là, avec lui. Le temps passait, d'après ce que le professeur disait. Les secours arriveraient, qu'il répétait. Une journée s'était écoulée. Personne n'était venu. Une seconde avait défilé. Personne n'était venu.
Petit bataillon d'exploration. Les premiers s'en allaient, pour chercher de l'aide. Il s'agissait de ceux qui n'étaient pas trop blessés. Ils tremblaient, terrorisés, et Eun Woo comprenait. C'était terrifiant, tout ça. Le professeur partit, laissant à contre-cœur quelques élèves derrière lui. La personne qui l'avait accompagné était encore là. C'était le seul adulte qu'il restait. Le chauffeur ? Il avait disparu, tout comme quelques autres camarades – éjectés de l'appareil, sans doute. U
Une autre journée. Un temps long. Bruyant. Salissant. Exténuant. Des paroles mal placées. Des mots blessants. Des disputes. En une journée, il s'en passait des choses. La fatigue assommait. La solitude les enveloppait, même s'ils étaient plusieurs.
Et ce jour-là, Eun Woo fut enfin dégagé. Il avait perdu connaissance, deux fois. A cause de la douleur. Ses muscles étaient fatigués, comme trop longtemps utilisés. Il avait du mal à bouger sa jambe, et son bras, mais son corps était libéré. Tout brûlait. Tout se crispait. Tout démangeait. Tout lui donnait envie de hurler – il l'avait fait, d'après les regards inquiets des autres. Tout lui donnait envie de pleurer – il l'avait fait, il n'avait pas arrêter, avant de sombrer. De douleur. D'épuisement. De peur. De mal.
Une autre journée, et personne n'était là. A part eux. Tout devenait plus grand, plus fort. La faim s'installait. La soif était à peine épanchée. La folie les faisait douter. L'angoisse les faisait se disputer. Encore. Eun Woo restait silencieux, spectateur immobile d'un théâtre grotesque. Seung Kwan s'agitait. Il pensait à ses parents, sa petite sœur. Il pensait à son chien, et au reste. Ils pensaient chacun à leurs rêves, qu'ils voyaient tous s'éloigner au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient.
Une autre journée. Ils avaient bougé. L'aide ne venait pas. Les autres s'étaient peut-être perdus. C'était à leur tour de tenter quelque chose au lieu d'attendre. Ils avaient avancé, Eun Woo agrippé à Seung Kwan, ou aux autres. Parfois porté par l'accompagnateur. Ils avançaient. Ils marchaient. Ils se perdaient. Ils tournaient et retournaient. L'épuisement, la faim, le froid... tout devenait leur ennemi.. à commencer par eux-mêmes.
Une autre journée. Tout recommençait. Ils avançaient, pour s'arrêter. Ils tentaient de faire marcher Eun Woo seul mais il tombait. Ils râlaient. Ils s'agaçaient. Ils se disputaient.
Une autre journée. Plutôt que s'en sortir, ils s'enfonçaient. Ils se perdaient. Les cris ne s'arrêtaient pas. Les mots s'entrechoquaient. Les insultes fusaient. Tout le monde s'énervait. Tout le monde s'agaçait.
Et la même soirée, on le laissa là. Contre un arbre. On l'abandonna, après une longue pause. Trop longue. Et ça lui avait paru suspicieux dès le début de les voir discuter en cercle, plus loin. Ils auraient plus de chance sans lui, à ce que Seung Kwan lui racontait. Il ne pouvait pas marcher, pas courir, il était trop blessé. Mais ils reviendraient. Rire jaune, larmes salées, sourire crispé. Ils ne reviendraient pas. La culpabilité sur le visage de Seung Kwan voulait tout dire. Ils allaient le laisser là, comme on abandonnait un chien qu'on ne voulait plus. Comme on délaissait un corps inerte parce qu'il devenait trop lourd.
Il se souvint de leurs dos alors qu'ils partaient. Il se souvint avoir essayé. De crier, de marcher. Il se souvint leur avoir demandé d'attendre, de revenir. Il se souvint avoir pleuré, avoir dormi, avoir rampé. Il se souvint du froid, du calme, de la solitude, de la peur, du temps. Il se souvint de ces rayons de soleil qui perçaient les ombres.
Il se souvint de cette silhouette, penchée sur lui. Il ne se souvint pas de ce qu'elle disait, l'esprit trop encombré.

Il se souvint de s'être réveillé à l'hôpital, ses parents à son chevet et son grand frère pas loin.
Il se souvint avoir été perdu, paumé, désemparé. Déséquilibré aussi. Il se souvint d'avoir encore pleuré. D'avoir essayé pour abandonner. Il se souvint des mots du médecin, de ce rêve qui l'abandonnait, comme les autres l'avaient abandonné.
Il se souvint de ces visages, de ceux qui étaient partis sans le regarder. Il se souvint les avoir revus. Coupables, ils ne l'avaient pas regardé.
Il se souvint du temps qui passait, du temps qui était passé.
Il se souvenait de tout et le dessinait dans ses pensées quand il n'arrivait pas à fermer l’œil.

Une main sur son épaule le fit sursauter, le tirant diaboliquement de ces souvenirs, le faisant prendre conscience de sa place, et de l'endroit dans lequel il se trouvait. Il prit conscience du monde qu'il y avait autour de lui et après un moment de flottement, ses épaules s'abaissèrent et il se tourna, donnant le dos à ce décor paisible mais infernal.

Quelle idée de faire un shooting en forêt..., songea-t-il en soupirant, lançant un bref regard en arrière.